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paroles de cheminots |
Or,
" Or, s'endormir pendant le service, "louper un train"
était une faute grave. C'était la sécurité mise en défaut. Toute une cascade de
trains s'arrêtaient tant qu'un agent ne venait pas rétablir l'ordonnancement
correct de l'ensemble des signaux. Et la punition de l'agent responsable était
à la mesure perturbations provoquées, - sans compter le déshonneur ! Cependant
avec une ingénieuse débrouillardise et quelque complicité bienveillante on
pouvait parfois rétablir la situation, en douce, à ses risques et périls. Il
suffisait de quelques kilomètres en vélo pour aller dire au poste voisin :
"tu peux rendre la voie libre. Pas de mouvement sur le parcours".
Mon père se prêta quelquefois à ces
subtiles manigances. Il en avait d'autant plus de mérite qu'il ne lui arrivait
jamais de se mettre en défaut. Il avait acquis dans l'exercice de sa fonction
une perception très subtile des moindres indices utiles à son travail. Toujours
passablement harassé par une journée de labeurs multiples, coupés seulement par
une sieste que les bruits et mouvements diurnes rendaient problématique, il
abordait la nuit "à faire" sans l'ombre d'une fumée d'alcool mais
avec la rouerie inconsciente de l'esprit qui cherche à tirer le maximum de
répit au sein même d'une tension permanente. Il avait aménagé dans la petite
guérite où il devait se tenir, un très léger matelas qui atténuait la rudesse
du banc où il s'allongeait et... dormait entre les passages de train. Il
dormait l'esprit en éveil et au moindre avertissement il réagissait. Jamais sa
vigilance inconsciente ne fut en défaut.
Les seuls relâchements que sa
fatigue ait pu lui arracher concernent
la manœuvre du damier. Lle damier, en langage sémaphorique, est une sorte
d'avant garde dans le système de sécurité, un petit signal de rien du tout qui
commande un simple ralentissement en prévision d'un arrêt ééventuel, en cas de
section bloquée. Bref pas assez important pour que le subconscient y prenne
garde, mais assez pervers pour empoisonner la vie des gens.
Ssi, poussé par un besoin
incoercible de s'allonger, on s'assoupissait après le passage d'un train, la
ggrande aile sémaphorique tombait discrètement quelques minutes plus tard et rien ne venait vous rappeler à l'ordre
jusqu'au coup de sifflet du train suivant qui trouvait le damier fermé. Trop
ttttard ! Ralentissement. Demande d'explication écrite probable. Un ou deux
dixièmes de la prime de fin d'année supprimés. Alors commençaient quelques
jours d'anxiété et d'acrimonie :
- Mais enfin, disait maman, il te
suffit, tout au plus, d'attendre un quart d'heure !
- Tu crois que le mécanicien va
signaler ?
On avait un petit espoir quand, au passage, celui-ci agitait un bras
menaçant, mais il fallait se méfier de la traîtrise de ceux qui ne
manifestaient rien : le règlement c'est le règlement, sans compter qu'il
fallait ensuite rattraper le temps perdu sur un horaire qui ne badinait pas
avec l'exactitude"
C'est très intéressant à lire,ça me transporte dans une autre époque et un autre lieu. Merci.
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